Au sommaire de ce numéro :
Lydia Padellec, Joëlle Pétillot, Charles Vanecke, Hubert Fréalle, Véronique Joyaux, Tristan Allix, Michel Gendarme, Anne Peslier, Marcel Fare, Géraldine Serbourdin, Richard Roos-Weil, Marc Mériel, Clément Bollenot, Nicolas Rouzet, Orianne Papin, Patrice Blanc, Olivier Millot, Pascal Mora, Muriel Carrupt, Bénédicte Montjoie, Christine Laurant, Pascale Flavigny, Jean-Michel Couturier, Anne Soy, Christian Kakam, Basile Rouchin, Gérard Lemaire, Éric Scillien, Patrick Picornot, Jean-Paul Prévost.
Prologue par Alain Wexler
Ce titre n’est pas une
boutade. Ici désigne un lieu précis. Ailleurs n’est pas visible. A partir du
moment où vous tournerez cette page vous serez tiraillés entre différents
éléments dont une des principales propriétés sera de ne pas faire partie de
l’espace évoqué : comme le bois du violon dans ce tableau de Matisse qui suggère
un arbre mais l’absence de l’épicéa fouettera votre imagination. La proximité
d’ici ne rend pas prolixe mais si l’on abuse de l’ailleurs, l’accusation de
hors-sujet tombera tel un couperet. S’attarder aux détails de cette mécanique
rendrait fou. Aussi, l’on n’y accorde pas plus d’attention qu’à ces trophées de
chasse et de pêche qui ornent les murs d’un salon et qui font allusion à des
forêts ou à un univers liquide des plus lointains. Cette aptitude à un ailleurs
ne nous prépare pas à la perte de nos rêves et nous pourrions, par distraction,
nous retrouver dans le corps d’un autre.
Cette foule qui, tout à
coup, grouille dans la rue serait-elle sortie des rayons de votre libraire
favori ? Comme ces deux jumeaux Gauvain et Lancelot accourus de l’école
Chrestien de Troyes !
On peut imaginer
l’inverse : afin d’exister vraiment, entrer dans un livre qu’il faudrait
écrire. A moins que nous fassions déjà partie de l’histoire imaginée par un
vulgaire inconnu. Ou simplement appartenir au rêve d’un autre.
Ou d’une chanson apprise
à l’école, alors que celle-ci est en ruine !
Deux questions, toujours
les mêmes : d’où venons-nous ?
Où allons-nous ?
Où allaient ces enfants,
noyés ou mitraillés, qui avaient perdu leur terre ?
J’aimerais des villes
comme des échiquiers ou des fêtes foraines avec la diseuse de bonne aventure au
coin de la rue.
Elle sait, l’araignée,
une simple araignée, le chemin qui te porte.
LYDIA
PADELLEC
Une femme lit. La tête en
équilibre sur son poing clos. Yeux baissés. Silencieuse. Un livre ouvert sur
les genoux. Un livre aux pages si blanches qu’il semble traversé de lumière. Au
fond un fragment de fenêtre ne laisse percevoir aucune mer. Seules les branches
d’un palmier en proie au vent. Le bleu ne vient pas du dehors mais d’un livre
fermé dont on ne peut lire le titre. Comme si ce livre contenait toute la mer
d’été avec ses promesses de voyage et son mystère. Posé au bord d’une petite
table couverte d’une nappe blanche aux rayures rouges, il pourrait chanceler au
moindre mouvement brusque du coude. Mais la femme lit et ne voit ni le bouquet
d’anémones qui lui caresse l’épaule ni le bleu de cette mer si proche de
l’engloutir.
Femme
lisant (livre bleu) – 1922
charles
vanhecke
Sous les arbres
(extraits)
Un jour, je suis allé loin, très loin, au plus loin des
fleuves. Là-bas, tous les soirs, les singes s’esclaffaient avant de dormir, et
les oiseaux mouches frappaient des cœurs invisibles, avec des talons-aiguilles
à la place du bec.
J’ai interrogé le premier jour un homme penché sur l’eau, qui
m’a montré le chemin de son bras le plus court. Le bateau a évité une terre,
puis une autre, il s’est faufilé entre les insectes, les épidémies, avant de me
débarquer dans un endroit où des gamins se sont emparés de mes bagages, pour
s’approprier ainsi l’idée qu’ils se faisaient des étrangers.
Le village était en plein
drame. Il n’avait pas plu depuis longtemps. Les hommes dansaient pour faire
tomber le verbe pleuvoir. Autour du cercle de la danse, les paillotes formaient
un autre cercle, et aussi les arbres, les coupoles des arbres.
J’ai reconnu sans peine
le chef de la tribu : lui seul n’avait pas transpiré. Je lui ai demandé
l’hospitalité, et il ne m’a pas répondu sur-le-champ. Il a d’abord aspiré les
paroles que j’avais prononcées, et après en avoir vérifié l’effet sur ses
bronches, a conclu que je pouvais rester.
Ma vie a suivi alors la
lenteur des vases. Mon regard a suivi le lourd mouvement boueux qui servait à
tout, à s’attiédir en fin d’après-midi, à recevoir les nouvelles, à convoyer
les enfants. Ce n’était pas toujours le même mouvement. Il allait d’un côté,
puis de l’autre, s’enflait, s’étalait, captait très loin de nouvelles hormones,
puis revenait à son point de départ. Rien n’était jamais donné, c’est ce que
j’ai dû apprendre. Dès que le sol avait donné sa récolte, il fallait se
transporter ailleurs. Le ciel ne laissait pas sur l’œil d’acier durable.
TRISTAN
ALLIX
Lueur d’un passage
En femme parfaite je te dessine
Le temps de mieux souffrir avec toi
Silence où je ne fais que me parler à moi-même
Ce vide m’empoigne le corps
Je marche nuit et jour, ballade mortuaire dans la vie
Un parfum érotique parcourt mes veines
Tu me murmures que tu as faim
Nous partageons des heures ensemble
Ce ventre hurle de plaisir
C’est alors que je me rends compte que ton visage est
alimenté par mes rêves
Tu n’es pas plus féminine que masculine
Avec ta lueur j’ouvre les yeux
Je vis en toi
Tu es mon enfer par ton mystère
Je suis ton appétit, ton ventre
Je suis ton paradis quand mes rêves deviennent réalité
Lueur d’un passage tu es...