Des écrits d’avant-naître.
Cécile Guivarch s’est en quelque sorte fait une
spécialité de l’autobiographie antérieure. Choisie ? Imposée par les
circonstances, par les interrogations sur elle-même ? Est-ce que je viens du pays de ma mère ou est-ce que je viens du pays
de mon père ? Est-ce que je viens de là où je vis ? En tout cas
ses aïeuls font poèmes, même si : Ecrire
le monde. Ecrire l’histoire. Est-ce vraiment de la poésie ? Si j’écris par
bribes cela s’accole au fur et à mesure. L’histoire ne vient pas d’un seul
morceau mais par petites touches in Sans
Abuelo Petite (éd. Les carnets du
Dessert de Lune, 2017)... Elle écrit sa vie d’avant sa vie.
Comme une approche générale à cette vie d’avant il y a Vous êtes mes aïeuls (éd Henry, 2013)
dans lequel elle dit de ses ancêtres : vous pesez plus lourd que moi et sa généalogie : je reste longtemps / regarder mon arbre // ce qu’il a de feuilles
/ remue ensemble avec moi.
Dans Renée, en
elle, son second livre paru aux éd. Henry, en 2015, passionnant comme une
enquête policière (le romanesque serait impossible en poésie ? La
preuve que non), Cécile Guivarch chante sa branche bretonne : J’entends parfois dans mes rêves crier au
fond d’un puits…peut-être le premier Jean, remplacé par un second du même
prénom. Puis se sont poursuivies les naissances jusqu’à ce que l’on m’enfante,
moi aussi. Dans ce livre, l’héroïne familiale, morte à Quimper en 1817, est
née parmi les morts». De Renée,
qui lui vient toute en morceaux… elle
dit : Je m’évertue à redonner à
Renée de vraies couleurs.
Renée met en lumière une autre constante des livres de
Cécile Guivarch : la condition féminine. Aux violences communes et
ordinaires (si j’ose dire) du temps : le travail, la faim, la relégation
sociale, la mort, etc. s’ajoutent les aspects les plus terribles de la
maternité. Dans Le cri des mères (éd.
La Porte, 2012), les femmes sont déchirées entre accouchements et guerres.
Mais les femmes que nous raconte Cécile Guivarch sont
courageuses. Elles sont du cœur et du cran : dans les champs elles attendent / le retour des enfants // ce seront
toujours des enfants // toujours même avec / trente balles dans le corps.
C’est ce que l’on retrouve dans Un petit
peu d’herbe et des bruits d’amour (éd. L’Arbre à paroles, 2013). Ce livre
est consacré à la racine espagnole (galicienne) de Cécile Guivarch. Et plus
précisément à la mère de l’auteur qui a traversé les Pyrénées un billet de mille pesetas en poche / ce
qu’elle fera avec ça / sa valise sa vie // de l’autre côté…
Dans Sans Abuelo Petite celle qui à 20 ans rêvait d’autres paysages / …n’avait jamais
vu la mer, devient la mère exotique (enviée par les autres écoliers au
moment des récréations) de Cécile. A l’instant du petit-déjeuner, en mêlant le castillan, le galicien au
français, elle raconte à ses filles des épisodes de l’histoire familiale, leur
révèle ses parts d’ombre.
Cécile (9, 10 ans) écoute cette mère qui parle, qui
parle. Ces moments, dans Sans Abuelo Petite, sont en prose. Ils
occupent la majorité des pages de droite du livre. En rapportant ses paroles, Cécile
dresse un portrait vivant de sa mère. Cinématographique : on voit la mère,
les lieux, les instants du petit-déjeuner. Profitant des propos de sa mère,
Cécile laisse filer ses réflexions : Ma
langue est paternelle ; ses réactions : les langues nous les avons toutes en nous mais n’en
parlons qu’une seule ; ses souvenirs : J’ai plein de cousins. Je n’arrive pas à les compter. Parties
d’escondita (cache-cache) géantes (en
Galice).
De ses souvenirs de vacances en Galice surgit ce
Grand-Père chez qui l’on va passer des vacances en été. Mais un matin au
petit-déjeuner, Cécile apprend que ce Grand-Père n’est pas son vrai abuelo, son abuelo de sang : le vrai grand-père a fui le régime franquiste
avec la malle faite à la hâte et
s’est réfugié à Cuba. Où il s’est trouvé piégé : l’île s’est refermée sur
lui, transformée en prison (Castro, les USA). Le temps s’est figé dans
l’immobilité. Depuis son isla carcel
il a écrit de nombreuses lettres à sa fiancée qui attend un enfant : cette
niña qui sera la mère de Cécile.
C’est une sidération : mon grand-père n’est pas dans mon arbre, … est devenu un autre en quelques secondes
au petit-déjeuner. De là tous
les poèmes qui occupent les pages de gauche de Sans Abuelo Petite :
…tu poses tes mains sur
la table, tu écris.
Des centaines de
lettres.
Tu lui dis que tu
l’aimes que tu ne l’as pas oubliée.
Tu lui dis que tu veux
revenir mais tu ne le peux pas.
Tu demandes des
nouvelles de la niña…
Ce grand-père inconnu, enfermé dans son île, devient un
objet d’imaginations, de fantasmes pour la fillette : On me dit de te taire / Comment puis-je te faire cesser de me
parler…/…Tu me coulais dans le corps avant même ma naissance…
La petite fille prend en charge ce grand-père perdu, et
par les mots le ramène au bercail, au
village, au pays, dans sa famille.
Enfin vient le temps de l’apaisement, ce grand-père
inconnu reprend sa place dans l’arbre. Alors Cécile et son abuelo se mêlent dans les mêmes en poèmes à la fin du livre :
Peut-être ton cœur a-t-il battu / à
l’instant où je suis née.
Reste qu’en refermant ce livre, d’une écriture simple,
directe, on s’arrête sur cette question : qu’est-ce qui fait la
filiation ? Le sang ou les histoires ? La génétique ou la
langue ? Dans notre société dans laquelle le sang semble devenu pour
certain l’unique lien de filiation (ah, le père biologique !) existe-t-il encore des cultures dans
lesquelles le sang compte pour rien dans la filiation ? Pour lesquelles,
l’essentiel est dans la transmission des histoires ? Une filiation par la
poésie ?
Vous êtes mes aïeuls (100 p, 6 €), Renée, en elle (60 p, 10 €), www.editionshenry.com
-Un petit peu d’herbe et des bruits
d’amour, 90 p, 7,50 € - éd. L’Arbre
à paroles, www.maisondelapoésie.com