Au sommaire de ce numéro :
Elsa Hieramente, Guy Knerr, Rodolphe Houllé, Nicolas Rouzet, Daniel
Birnbaum, Florentine Rey, Myriam Monfront, Michel Serraille, Anne Soy,
Géraldine Serbourdin, Stéphane Casenobe, Angèle Casanova, Alain
Brissiaud, Guillaume Dreidemie, Mermed, Michel Gendarme, Valérie
Fincato, Véronique Joyaux, Line Szöllosi, Marc Mériel, Alain Guillard,
Anéis Karouëne, Carlos Dorim, Françoise Vignet, ainsi que des nouvelles
de Raymond Delattre et Éric Savina.
En salade par Christian Degoutte
Le cinéma par Jacques Sicard
Chronique de Miloud Keddar
Notes de lecture de Jean-Christophe Ribeyre,
Valérie Canat de Chizy, Gérard Paris, Alain Wexler.EXTRAITS
rodolphe houllé
La
ballerine
Là-bas aussi, les roues, la neige.
Un soupir très léger soulève quelques flocons l’hélice,
parallèle à la neige, tourne.
Infime, infime hélice.
Du sommet de l’axe descend, selon une pente à peine
marquée, un fil d’argent qui va se perdre dans la neige ; la ballerine s’avance d’un pas irrégulier
; sa taille : celle d’un ongle.
Si faible pente que sans l’hélice la dame ne
progresserait plus sur sa corde d’argent.
Une cage est suspendue au balancier : la dame doit
prendre garde : il ne faut pas
que l’oiseau tombe dans la neige.
Il chante : frôlée par une aiguille une roue tourne sous
le duvet. Vous savez maintenant que si ce disque était recouvert d’un flocon il
serait à tout jamais impossible de le retrouver.
Je devine que c’est mon souffle qui entraîne l’hélice,
mais qui à chaque instant aussi menace l’équilibre de la dame, l’oblige à
manœuvrer son balancier sur lequel la cage coulisse, et parfois glisse vers la
neige ; pourquoi ? – si le chant
s’interrompt je ne serai plus là.
florentine rey
Qu’est-ce
qu’on mange ?
On mange de la chair choquée, on mange de l’huile de
moteur, des œufs carrés, on mange des poules aux antibiotiques, des crèmes sans
crème, du lait sans lait, on mange des copeaux, on mange en boîte, sous vide,
on mange sans forme et sans arrêtes, tassé dans une barquette, on mange des
ondes, on mange dégénéré, haché menu la cinquième patte ou le troisième œil, on
mange du cheval pour du bœuf, des mouches et des cheveux tombés dans la cuve,
on mange obscur, on mange et on boit, on boit des bulles de sucre noir qui
rongent les os, on boit de l’eau dans du plastique, du thé fumé au chalumeau,
on boit du lait de vaches qui mangent de la farine de poissons, on mange des
écrevisses charnues piquées à la seringue, des légumes géants, des mangues au
goût de carlingue, on mange l’Espagne, on mange l’Afrique, on mange ceux qui
crèvent de faim, on mange recomposé, coloré, conservé, on meurt intacts, nos
corps ne se dégradent plus.
Nicolas rouzet
Amnésie
Cette
blessure
C’est
une étoile
Une
balle qui a fleuri
dans
ma tête
Un
geste
dont
j’ai perdu mémoire
Cauchemar
L’homme
qui dort a toujours la possibilité de croire que tout ceci n’est qu’un
cauchemar. Bien réel pourtant, le vent qui souffle, arbre de malheur. Bien
réelles les étoiles dont les éclats sur la glace se reflètent comme le
tranchant d’une hache.
Mais
le dormeur s’agace. Il feint de ne pas y croire, il tire encore un peu sur sa
couverture et se rendort. A l’instant même... où la tourmente emporte toute sa
maison.
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