PRéFACE PAR ALAIN WEXLER
Neige et feu
Noir et blanc aurait fait un bon titre. Noir comme ombre, souterrain, grotte, sexe. Blanc comme lumière, des étoiles qui neigent ! Attention ! la boule de verre que l’on agite, dite boule de neige, n’est pas loin ! Catherine Zittoun dit que la nuit est de neige. Le paradoxe voudrait que l’on s’exprimât d’une même façon sur la neige et le feu ! Les deux idées sont interchangeables au point que j’ai enlacé les textes après les avoir étiquetés neige ou feu. Une première !
Le désir que lui inspire une nageuse envoûte Hubert Fréalle et, lorsqu’elle plonge, elle semble l’entraîner avec elle ; le rapt parfait, dit-il ! Jean Fau campe «la nef avide des esprits constellés...» Quand l’une plonge, l’autre semble s’élever mais ne serait-ce pas comme l’eau sous l’action du feu qui monte vapeur et retombe neige ?
Tout s’entrelace, «du cœur de cette pierre s’échappe un corps, le vois-tu ?» dit Jean Fau. Mais les nuits tombent trop vite pour les pierres aveugles, ajoute-t-il. L’inconnu produit ce vertige, sorte de cécité. L’inconnu, c’est la neige, la glace, les étoiles, l’esprit...
Des textes étranges qui pourraient nous engloutir, tant s’entrelacent la plongeuse et le marcheur de François Charvet qui craint de s’aventurer sur l’étang gelé «pour sombrer tout à fait dans les mots...»
La vie et la mort, elles aussi, sont enlacées. «Est-ce désir grande abondance / oiseau gracieux qui vit, qui meurt / renaît brûlant dans la froidure...» écrit Jacqueline Panorias.
Et si le jeu de la neige et du feu cachait dans ses cartes la fin de la planète et de l’espèce humaine parce qu’une minorité souffle sur cet incendie, la folie du profit qui brûlera tout. Les survivants contempleront peut-être une neige d’étoiles.
Et si l’image de la plongeuse, crevant la surface de l’eau, n’était qu’un naufrage ? L’aveuglement est si facile, le feu et la neige des mots non consentis mais avalés jusqu’à satiété, les phrases des puissants comme le chant des sirènes nous noieront plus sûrement encore. Le rôle du poète est de redonner un sens aux mots, de nous faire naître sans cesse, vers une conscience toujours plus aiguë du monde.
W. Hardouin écrit : «les mots sont mes brebis égarées, il faut les écarter du lac des erreurs...»
Extraits :
HUBERT FRéALLE
Déflagrante
cul-
bu-
te
dame !
très
honorable
A
T
T
R
A
C
T
I
O
N
indéfendable
c’est-à-dire cela contre le processus de quoi
on ne saurait se défendre
pas même en interjetant une contre poussée
sur la planche
la planche des appels
l’Aura de l’Heure A.
m’aura-t-elle frappé
happé Ah !
l’Adorable
roulé
enroulé
enrôlé sous la rare roulade
il s’est fait de ma personne
en un instantané
le rapt parfait
Couloir 5
comment considérer autre vague
que le sang intensif et excédant
qu’en la peignée des flots en partage
librement l’on
laboure !?
tandis que les peu patientes fleurs d’eaux frisottis
tressent à tes pieds des palmes et des renoncules
le transfert de l’eau de piscine
en l’Espace Royal de la Loire
se réalise archi pureté
archi-texture de l’enchanté
tonalité transfert trans-fugue
ô l’effusion présent/passé/futur
pourchassant pourchassé
je reste mystifié à l’arrêt du Temps
territoires dévoilés
fastes des contes des cours
portés comme tunique et soierie
et chansonneries des troublées amours
autant qu’il est possible
aux épaules de nos quinze et dix-sept années
je vis une montée au
CLIMAX
parmi son plongeon de fugitive
au centre excentré
puissante colonne/tour
s’exclamant
prométhéenne
à Haute et Intelligible Joie
Couloir 8
comment faire plus amoureux
que de sensiblement prolonger
les visites les appels re-
composés à ce cher chéri
séjour !?
à la borne blanche qui résiste à la grande
force en sa projetée
elle roulait impeccablement
si bien que j’en change des
dimensions
LE RAVISSEMENT
par-dessus les toits les rouleaux de chaume
les pics de chaleur rehaussant le dirigeable
le plan de territoire est bas-
culé
où y chercher pourtant la solidité du récitatif
je m’explique ce décalage
avec ce qui me glisse entre les doigts
l’eau la ligne du sens
le Groupe des Mots-Transport
l’itinéraire de sa fougue
emmène le rectangle-piscine
vers les mailles côtières de Pénélope
ou les contreforts brûlés de la Cité égéenne
en tricotant du talon ailé de patience ardente
la tunique bleue de la mer
que j’endosse au sprint en osant
le surréaliste chant du signal
J’AI TROUVÉ AVEC TOI L’EAU DU TEMPS
MARIE-LAURE ADAM
Un arbre
Il y a au milieu d’une place, un arbre. C’est la place d’un village avec ses pavés, ses bancs en bois vermoulus, quelques bistrots, et les gens du village qui discutent de la pluie et du beau temps, du temps qui passe, des souvenirs communs. Les gamins tordent parfois les roues de leur vélo aux pavés mal joints. Cette place c’est un peu là où l’on vient si l’on ne veut pas être seul.
Et puis c’est autre chose.
Il suffit de s’approcher de cet arbre, de s’accroupir, puis de s’asseoir contre son tronc pour que tout disparaisse, la place, les gens, les bruits. L’arbre se couvre alors d’une multitude de petits papiers blancs, soigneusement pliés. On se redresse pour en attraper un, n’importe lequel, c’est de toute façon celui que l’on prend qui nous est destiné. On ne peut pas se tromper. Après il faut déplier ce petit papier blanc, cela prend du temps, beaucoup de temps, mais quand on est sous cet arbre, le temps a quelque chose de particulier, il est comme un cadeau. Alors on défait très, très lentement les plis. (C’est presque comme un petit origami).
Lorsque l’on a enfin ce papier bien à plat dans la main, on reprend le chemin inverse, le papier au creux de la main. Je ne suis pas sûre que l’on réalise que la place est à nouveau bondée, pleine de bruit. Non, je crois que l’on a juste un petit papier blanc dans la main.
Il faut alors aller très loin pour lire ce qui est écrit dessus, il n’y a pourtant rien d’écrit. Alors au milieu d’une clairière, loin du village, il y a une immense corde à linge. Jamais on ne voit ce qui la maintient mais cela doit être quelque part hors de la vue. Il suffit d’attacher ce petit bout de papier un peu froissé maintenant, pour que avec l’aide du vent – et de la pluie parfois – l’on perçoive la sonorité des mots, les mots sont là éparpillés peut-être, mais tout autour. C’est assez difficile la première fois d’en comprendre le sens, car tout s’éparpille avec le vent. Les mots vont où ils veulent, se mélangent, butent. Parfois ils se détachent et forment d’autres mots. Mais dans cette clairière, avec ces mots éparpillés et le vent c’est un peu comme se retrouver tout au fond de soi et recomposer alors ce qui s’est échappé.
Dans ce Verso 156
13O pages de textes originaux, articles de fond et lectures de livres. La robe des tempêtes, collage de Philippe Lemaire illustre la la 1ère de couverture.
Hubert Fréalle et Marie-Laure Adam qui ouvrent le ban sont de jeunes auteurs.
Tous mériteraient cette place mais il faut faire un choix. Question de sensibilité personnelle.
Hubert Fréalle situe son texte au bord d’un fleuve magique, la Loire, que je hante moi-même depuis des années.
Et puis ce texte de Marie-Laure Adam sur un arbre. L’arbre fait partie de mon univers intime aussi. L’argument est faible mais il en fallait un !
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