mardi 5 décembre 2017

Cécile Guivarch lue par Christian Degoutte


Des écrits d’avant-naître.


Cécile Guivarch s’est en quelque sorte fait une spécialité de l’autobiographie antérieure. Choisie ? Imposée par les circonstances, par les interrogations sur elle-même ? Est-ce que je viens du pays de ma mère ou est-ce que je viens du pays de mon père ? Est-ce que je viens de là où je vis ? En tout cas ses aïeuls font poèmes, même si : Ecrire le monde. Ecrire l’histoire. Est-ce vraiment de la poésie ? Si j’écris par bribes cela s’accole au fur et à mesure. L’histoire ne vient pas d’un seul morceau mais par petites touches in Sans Abuelo Petite (éd. Les carnets du Dessert de Lune, 2017)... Elle écrit sa vie d’avant sa vie.

Comme une approche générale à cette vie d’avant il y a Vous êtes mes aïeuls (éd Henry, 2013) dans lequel elle dit de ses ancêtres : vous pesez plus lourd que moi  et sa généalogie : je reste longtemps / regarder mon arbre // ce qu’il a de feuilles / remue ensemble avec moi.

Dans Renée, en elle, son second livre paru aux éd. Henry, en 2015, passionnant comme une enquête policière (le romanesque serait impossible en poésie ? La preuve que non), Cécile Guivarch chante sa branche bretonne : J’entends parfois dans mes rêves crier au fond d’un puits…peut-être le premier Jean, remplacé par un second du même prénom. Puis se sont poursuivies les naissances jusqu’à ce que l’on m’enfante, moi aussi. Dans ce livre, l’héroïne familiale, morte à Quimper en 1817, est née parmi les morts». De Renée, qui lui vient toute en morceaux… elle dit : Je m’évertue à redonner à Renée de vraies couleurs.

Renée met en lumière une autre constante des livres de Cécile Guivarch : la condition féminine. Aux violences communes et ordinaires (si j’ose dire) du temps : le travail, la faim, la relégation sociale, la mort, etc. s’ajoutent les aspects les plus terribles de la maternité. Dans Le cri des mères (éd. La Porte, 2012), les femmes sont déchirées entre accouchements et guerres.

Mais les femmes que nous raconte Cécile Guivarch sont courageuses. Elles sont du cœur et du cran : dans les champs elles attendent / le retour des enfants // ce seront toujours des enfants // toujours même avec / trente balles dans le corps. C’est ce que l’on retrouve dans Un petit peu d’herbe et des bruits d’amour (éd. L’Arbre à paroles, 2013). Ce livre est consacré à la racine espagnole (galicienne) de Cécile Guivarch. Et plus précisément à la mère de l’auteur qui a traversé les Pyrénées  un billet de mille pesetas en poche / ce qu’elle fera avec ça / sa valise sa vie // de l’autre côté… 

Dans Sans Abuelo Petite celle qui à 20 ans rêvait d’autres paysages / …n’avait jamais vu la mer, devient la mère exotique (enviée par les autres écoliers au moment des récréations) de Cécile. A l’instant du petit-déjeuner, en mêlant le castillan, le galicien au français, elle raconte à ses filles des épisodes de l’histoire familiale, leur révèle ses parts d’ombre.

Cécile (9, 10 ans) écoute cette mère qui parle, qui parle. Ces moments, dans Sans Abuelo Petite, sont en prose. Ils occupent la majorité des pages de droite du livre. En rapportant ses paroles, Cécile dresse un portrait vivant de sa mère. Cinématographique : on voit la mère, les lieux, les instants du petit-déjeuner. Profitant des propos de sa mère, Cécile laisse filer ses réflexions : Ma langue est paternelle ; ses réactions : les langues nous les avons toutes en nous mais n’en parlons qu’une seule ; ses souvenirs : J’ai plein de cousins. Je n’arrive pas à les compter. Parties d’escondita (cache-cache) géantes (en Galice)

De ses souvenirs de vacances en Galice surgit ce Grand-Père chez qui l’on va passer des vacances en été. Mais un matin au petit-déjeuner, Cécile apprend que ce Grand-Père n’est pas son vrai abuelo, son abuelo de sang : le vrai grand-père a fui le régime franquiste avec la malle faite à la hâte et s’est réfugié à Cuba. Où il s’est trouvé piégé : l’île s’est refermée sur lui, transformée en prison (Castro, les USA). Le temps s’est figé dans l’immobilité. Depuis son isla carcel il a écrit de nombreuses lettres à sa fiancée qui attend un enfant : cette niña qui sera la mère de Cécile.

C’est une sidération : mon grand-père n’est pas dans mon arbre, … est devenu un autre en quelques secondes au petit-déjeuner. De là  tous les poèmes qui occupent les pages de gauche de Sans Abuelo Petite :

…tu poses tes mains sur la table, tu écris.

Des centaines de lettres.

Tu lui dis que tu l’aimes que tu ne l’as pas oubliée.

Tu lui dis que tu veux revenir mais tu ne le peux pas.

Tu demandes des nouvelles de la niña… 

Ce grand-père inconnu, enfermé dans son île, devient un objet d’imaginations, de fantasmes pour la fillette : On me dit de te taire / Comment puis-je te faire cesser de me parler…/…Tu me coulais dans le corps avant même ma naissance… 

La petite fille prend en charge ce grand-père perdu, et par les mots  le ramène au bercail, au village, au pays, dans sa famille.

Enfin vient le temps de l’apaisement, ce grand-père inconnu reprend sa place dans l’arbre. Alors Cécile et son abuelo se mêlent dans les mêmes en poèmes à la fin du livre : Peut-être ton cœur a-t-il battu / à l’instant où je suis née.

Reste qu’en refermant ce livre, d’une écriture simple, directe, on s’arrête sur cette question : qu’est-ce qui fait la filiation ? Le sang ou les histoires ? La génétique ou la langue ? Dans notre société dans laquelle le sang semble devenu pour certain l’unique lien de filiation (ah, le père biologique !)  existe-t-il encore des cultures dans lesquelles le sang compte pour rien dans la filiation ? Pour lesquelles, l’essentiel est dans la transmission des histoires ? Une filiation par la poésie ?

Vous êtes mes aïeuls (100 p, 6 €), Renée, en elle (60 p, 10 €), www.editionshenry.com -Un petit peu d’herbe et des bruits d’amour,  90 p, 7,50 € - éd. L’Arbre à paroles, www.maisondelapoésie.com

Sans Abuelo Petite, 70 p, 12 € www.dessertdelune.be

 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire