lundi 19 mars 2018

VERSO N°172 : PEUR & MYSTÈRE


Au sommaire de ce numéro :

Elsa Hieramente, Guy Knerr, Rodolphe Houllé, Nicolas Rouzet, Daniel Birnbaum, Florentine Rey, Myriam Monfront, Michel Serraille, Anne Soy, Géraldine Serbourdin, Stéphane Casenobe, Angèle Casanova, Alain Brissiaud, Guillaume Dreidemie, Mermed, Michel Gendarme, Valérie Fincato, Véronique Joyaux, Line Szöllosi, Marc Mériel, Alain Guillard, Anéis Karouëne, Carlos Dorim, Françoise Vignet, ainsi que des nouvelles de Raymond Delattre et Éric Savina.

En salade par Christian Degoutte
Le cinéma par Jacques Sicard 
Chronique de Miloud Keddar
Notes de lecture de Jean-Christophe Ribeyre, Valérie Canat de Chizy, Gérard Paris, Alain Wexler.


EXTRAITS



rodolphe houllé



La ballerine



Là-bas aussi, les roues, la neige.

Un soupir très léger soulève quelques flocons l’hélice, parallèle à la neige, tourne.

Infime, infime hélice.

Du sommet de l’axe descend, selon une pente à peine marquée, un fil d’argent qui va se perdre dans la neige ;  la ballerine s’avance d’un pas irrégulier ;  sa taille : celle d’un ongle.

Si faible pente que sans l’hélice la dame ne progresserait plus sur sa corde d’argent.

Une cage est suspendue au balancier : la dame doit prendre garde  :   il ne faut pas que l’oiseau tombe dans la neige.

Il chante : frôlée par une aiguille une roue tourne sous le duvet. Vous savez maintenant que si ce disque était recouvert d’un flocon il serait à tout jamais impossible de le retrouver.

Je devine que c’est mon souffle qui entraîne l’hélice, mais qui à chaque instant aussi menace l’équilibre de la dame, l’oblige à manœuvrer son balancier sur lequel la cage coulisse, et parfois glisse vers la neige ;  pourquoi ? – si le chant s’interrompt je ne serai plus là.





florentine rey



Qu’est-ce qu’on mange ?



On mange de la chair choquée, on mange de l’huile de moteur, des œufs carrés, on mange des poules aux antibiotiques, des crèmes sans crème, du lait sans lait, on mange des copeaux, on mange en boîte, sous vide, on mange sans forme et sans arrêtes, tassé dans une barquette, on mange des ondes, on mange dégénéré, haché menu la cinquième patte ou le troisième œil, on mange du cheval pour du bœuf, des mouches et des cheveux tombés dans la cuve, on mange obscur, on mange et on boit, on boit des bulles de sucre noir qui rongent les os, on boit de l’eau dans du plastique, du thé fumé au chalumeau, on boit du lait de vaches qui mangent de la farine de poissons, on mange des écrevisses charnues piquées à la seringue, des légumes géants, des mangues au goût de carlingue, on mange l’Espagne, on mange l’Afrique, on mange ceux qui crèvent de faim, on mange recomposé, coloré, conservé, on meurt intacts, nos corps ne se dégradent plus.





Nicolas rouzet



Amnésie



Cette blessure

C’est une étoile

Une balle qui a fleuri

dans ma tête

Un geste

dont j’ai perdu mémoire



Cauchemar



L’homme qui dort a toujours la possibilité de croire que tout ceci n’est qu’un cauchemar. Bien réel pourtant, le vent qui souffle, arbre de malheur. Bien réelles les étoiles dont les éclats sur la glace se reflètent comme le tranchant d’une hache.



Mais le dormeur s’agace. Il feint de ne pas y croire, il tire encore un peu sur sa couverture et se rendort. A l’instant même... où la tourmente emporte toute sa maison.




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